L’an 2300. La Terre n’était plus qu’un souvenir métallique de ce qu’elle avait été. Les cités, autrefois suspendues dans le ciel, flottaient désormais en silence, leurs fondations rongées par la poussière d’atomes. Le temps semblait s’être arrêté, figé dans une éternelle pénombre orangée.
Dans un appartement de verre et d’acier, tout était calciné. Les meubles en polymères intelligents n’étaient plus que des carcasses tordues. Les écrans muraux, craquelés, pleuraient encore des pixels mourants. Les plantes synthétiques, fondues, pendaient comme des spectres de chlorophylle oubliée.
Et pourtant… au centre du salon, trônait un objet anachronique. Une bassinoire en cuivre du XVIIIᵉ siècle.
Polie par des siècles, son éclat était intact, presque insolent.
Les drones d’exploration de la dernière mission humaine l’avaient repérée par hasard. Les capteurs thermiques n’en revenaient pas : aucune trace de corrosion, aucune altération. C’était comme si l’objet avait défié le cataclysme, le temps, la logique même des lois physiques.
" Analyse du matériau ! " ordonna la voix synthétique du drone.
Les résultats s’affichèrent aussitôt : composition inconnue à 2 %. Une variation atomique impossible.
Les archives humaines indiquaient que cette bassinoire appartenait jadis à une certaine Éléonore de Montfaucon, noble du XVIIIᵉ siècle. Rien de remarquable, si ce n’est que l’objet avait traversé plus de dix générations, avant de disparaître mystérieusement au début du XXIᵉ.
Pourtant, la bassinoire était là. Seule survivante d’un monde qui s’était effondré sous sa propre démesure technologique.
Le drone principal s’approcha. Dans le reflet du cuivre, il crut distinguer, un instant, le visage d’une femme aux cheveux poudrés, souriante, tenant dans ses bras une chandelle. Puis l’image se dissipa, comme avalée par la lumière mourante.
Une défaillance optique, conclut l’IA.
Mais avant que le système ne s’éteigne, une phrase se grava sur son écran central, venue d’aucune base de données connue :
« Ce qui chauffe le lit des hommes réchauffe aussi la mémoire du monde. »
Et quand tout s’effondra, la bassinoire resta encore, silencieuse, brillante, éternelle
By Muriel Colombino
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